A l'instar du psychanalyste Gérard Miller, une partie de la gauche intellectuelle prône l'abstention en cas de second tour Macron-Le Pen à la présidentielle. Quitte à servir le populisme et l’extrême-droite. Bref ; la honte ultime.

Gérard Miller écrit l’inverse de ce qu’il propose

Dans une préface à son livre "Les pousse-au-jouir du maréchal Pétain", un essai aussi original qu’important, le psychanalyste Gérard Miller, figure de la gauche intellectuelle, écrivait ceci en 2004 : "On parlait de quelque chose de parfaitement connu, répertorié, précisément situé hors du champ sur lequel les mots ont encore prise. On parlait d’une saloperie intrinsèque, qui exacerbe les différences et finit toujours par faire couler le sang. On parlait d’un truc innommable, à maintenir dans une abjection irréductible au lien social pour que subsiste une petite chance d’en limiter la contagion". I

Implacable mise à nu de l’extrême-droite et de son variant français, le lepénisme familial.

On peut être certain que l’auteur ne changerait pas un mot ni une virgule à ces quelques lignes - d’ailleurs si justes et pertinentes.

Désormais chroniqueur politique sur LCI - chaîne d’info qui m’accueille également - Gérard Miller répondant il y a quelques jours à une question de David Pujadas, a expliqué que, si l’élection présidentielle avait lieu aujourd’hui et si le second tour opposait Marine Le Pen à Emmanuel Macron, il s’abstiendrait. En 2017, confronté au même cas de figure, Miller avait voté sans la moindre hésitation en faveur de l’actuel chef de l’Etat.

Contexte troublant

Cette position d’un intellectuel, jadis proche de François Mitterrand et désormais compagnon de route de Jean-Luc Mélenchon, n’est pas anodine. Il est même nécessaire de la prendre fort au sérieux. Elle survient dans un double contexte au moins troublant : un sondage Harris Interactive hisse pour la première fois Marine Le Pen à 48% des voix au second tour, donc en mesure de triompher; une longue enquête de Libération auprès d’électeurs de gauche part d’un postulat identique à celui de Gérard Miller : non à Macron, serait-ce au prix de la victoire d’une candidate d’extrême-droite héritière d’une organisation, le Front National, en partie fondée par des collabos condamnés à la Libération et par des terroristes de l’OAS. Et en effet, l’étude attentive du sondage Harris indique que l’abstention d’une partie de la gauche accélère la progression de la cheffe du RN.

L’attitude de Miller et de ces Français "de gauche" qui témoignent dans Libé peut sembler irresponsable, voire délirante. Elle n’en est pas moins à prendre au pied de la lettre, telle une photo à un moment précis. Gérard Miller est d’ailleurs trop fin politique pour ne pas être lui-même troublé par sa propre position. La preuve ? Relancé par David Pujadas, il a pris la précaution de préciser qu’il dispose encore du temps nécessaire pour... changer d’avis. Assumer de briser net ainsi le front républicain contre l’extrême-droite ne peut pas être un geste politique anodin.

Réflexes pavloviens

D’autant plus que ce surgissement d’une abstention de gauche servant "objectivement" le populisme et l’extrême-droite s’est produit dans un contexte politico-historique on ne peut plus particulier, qui aurait dû valoir à Emmanuel Maçon quelques satisfécits en provenance de... la gauche :

 

au même moment le président reconnaissait en effet "au nom de la France" que l’avocat et dirigeant nationaliste algérien Ali Boumendjel avait été "torturé et assassiné par l’armée française" en 1957. Ce geste ayant valeur historique et cette déclaration ont aussitôt provoqué la fureur, le déchaînement de Marine Le Pen, de son entourage. Les réflexes pavloviens de l’extrême-droite retrouvée, on s’en doutait.

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