Elle affirme que la France va « partager » son siège au Conseil de sécurité de l’ONU avec l’Allemagne à cause de ce traité. C’est faux.

La France s’apprête-t-elle à être reléguée en « deuxième division » sur la scène internationale ? C’est ce qu’a affirmé la présidente du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, à plusieurs reprises ces derniers jours. Selon la députée, la France s’apprête à signer un traité de coopération avec l’Allemagne contraire aux intérêts nationaux, puisque Paris se préparerait à abandonner son siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU). Sauf que cette affirmation est purement mensongère, le texte en question ne prévoyant pas cela. Explications.

Ce qu’elle a dit :

Interrogée sur CNews, vendredi 18 janvier, sur le traité d’Aix-la-Chapelle qui doit être signé le 22 janvier, Marine Le Pen a affirmé qu’il s’agissait d’un texte « très grave », parce qu’il « affaiblit la France ». « Je n’ai pas envie de partager le siège de la France au Conseil de sécurité [de l’ONU] (…). Nous faisons par ce traité un pas supplémentaire vers cela », a-t-elle notamment déclaré. Selon la présidente du RN, la France serait ainsi reléguée « en deuxième division, ou en division d’honneur » sur la scène internationale.

Un argument désormais récurrent dans l’argumentaire de la dirigeante, puisqu’elle l’avait déjà avancé sur BFM-TV, mercredi 16 janvier :

« Emmanuel Macron est en train de vendre notre pays à la découpe. (…) Il envisage en réalité, à terme, de partager notre siège au Conseil de sécurité avec l’Allemagne. Et peut-être même de partager notre puissance nucléaire avec l’Allemagne. »

POURQUOI C’EST FAUX

1. Le traité ne touche pas au siège français au Conseil

L’argumentaire de Marine Le Pen fait référence au (vrai) traité de coopération franco-allemand qu’Angela Merkel et Emmanuel Macron doivent signer le 22 janvier à Aix-la-Chapelle (Allemagne). Mais contrairement à ce que la députée d’extrême droite laisse entendre, ce texte n’évoque en rien la composition du Conseil de sécurité de l’ONU. Une telle décision nécessiterait en réalité de réviser la charte des Nations unies.

Rappelons que la France est l’un des cinq membres permanents de ce dernier, avec la Chine, les Etats-Unis, la Russie et le Royaume-Uni. A cette liste s’ajoutent dix autres pays, élus pour deux ans, au rang desquels l’Allemagne, pour la période 2019-2020. Ce texte, publié notamment par le site Contexte, propose des mesures de coopération entre Paris et Berlin, sans grand bouleversement par rapport aux relations déjà existantes entre les deux pays. On y trouve cependant deux passages qui mentionnent le Conseil de sécurité de l’ONU :

l’article 5 : il y est question que la France et l’Allemagne procèdent à des « échanges au sein de leurs représentations permanentes auprès des Nations unies à New York », notamment entre « leurs équipes du Conseil de sécurité » ;

l’article 8 : il y est question d’effort conjoint « pour mener à terme des négociations intergouvernementales concernant la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies. L’admission de la République fédérale d’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies est une priorité de la diplomatie franco-allemande ».

En résumé, on peut retenir que les deux pays s’accordent pour coopérer au sein de l’ONU et pour tenir une position commune dans les négociations sur une future réforme du Conseil de sécurité des Nations unies.

2. La France favorable à ce que l’Allemagne ait un siège

Le traité d’Aix-la-Chapelle en lui-même ne change donc rien en ce qui concerne le siège français au Conseil de sécurité de l’ONU. Peut-on en revanche en interpréter l’article 8 comme un « pas supplémentaire » vers la relégation de la France au second plan au sein des instances de l’ONU ? A bien lire le texte, il n’est absolument pas question de « partager le siège de la France », comme l’affirme Mme Le Pen, mais plutôt de tendre vers « l’admission de la République fédérale d’Allemagne en tant que membre permanent ».

Cette demande est formulée de longue date par l’Allemagne, ainsi que par le Japon, l’Inde et le Brésil. Ces quatre pays estiment peser suffisamment lourd sur la scène internationale pour mériter un siège permanent au sein du Conseil de sécurité.

Dans ce contexte, la France est tout à fait favorable à ce que Berlin s’installe à la table des membres permanents du Conseil, comme l’expliquait encore récemment au Monde François Delattre, l’ambassadeur français aux Nations unies. La diplomatie française considère en effet que ce serait une bonne chose pour Paris, dans le sens où une telle décision renforcerait la présence européenne dans le Conseil de sécurité.

Au fond, le traité d’Aix-la Chapelle ne change rien à la donne dans ce débat, puisqu’il rappelle simplement une position française préexistante et n’a rien de contraignant.

3. Pas question pour la France de céder ou « partager » son siège

Marine Le Pen se trompe donc en s’appuyant sur le traité d’Aix-la-Chapelle pour agiter la possibilité que la France « partage » son siège au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Cependant, cette idée a tout de même quelques partisans. A commencer par Olaf Scholz, le vice-chancelier et ministre des finances allemand.

Ce dernier a affirmé souhaiter que le siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU « soit transformé en siège de l’Union européenne » dans un discours, le 28 novembre 2018. Pour M. Scholz, l’objectif de cette réforme serait de renforcer la position de l’Union européenne au sein du Conseil de sécurité, sachant que la perspective du Brexit l’affaiblit (le Royaume-Uni étant l’un des cinq membres permanents du Conseil). En contrepartie, le vice-chancelier proposait que ce nouveau siège européen soit systématiquement attribué à un Français.

Mais la France a toujours refusé de céder son siège de membre permanent, et, avec lui, son droit de veto. Dès le lendemain du discours de M. Scholz, le Quai d’Orsay avait répondu être « favorable à l’élargissement du Conseil de sécurité », mais pas à ce que la France abandonne son siège ou le partage.

Agnès von der Mühll, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères français, avait d’ailleurs assuré que la France « prenait en compte toutes les positions européennes dans l’expression de ses positions nationales » et participait « activement à la coordination de la position de l’Union » au sein de l’ONU. Plutôt que de laisser son siège historique à l’ensemble de l’Union européenne, la France préférait opter pour un positionnement coordonné sur les grandes mesures de l’ONU.

Là encore, François Delattre, ambassadeur de la France à l’ONU, avait critiqué cette piste, y voyant « l’exemple type de la fausse bonne idée ». Selon lui, l’intérêt des Européens n’est pas de partager un siège, mais d’en obtenir le plus possible.

Les négociations autour de cet élargissement sont actuellement en cours. D’ici là, l’Allemagne siégera comme membre non permanent en 2019, pour un mandat de deux ans, et en assurera la présidence en avril, juste après la France. Des dispositions qui devraient aider au rapprochement entre les deux pays, souhaité par Emmanuel Macron et Angela Merkel.

 

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