Déchéance de nationalité ; c’est quand même la moindre des choses
11 août 2016Ça commence à me gaver ; une gauche auto proclamée pousse des cris de vierge effarouchée sur la proposition de François Hollande de légiférer - et non pas d’inscrire dans la constitution - sur la déchéance de nationalité.
Sauf que voilà ; non seulement la déchéance de nationalité est déjà utilisé, mais elle est d’une logique imparable ; un traitre à son propre pays n’a pas à garder sa nationalité. C’est d’ailleurs ce qu’avait confirmé le Conseil constitutionnel en 1993 en refusant de qualifier le droit du sol de principe fondamental.
Retour sur quelques évidences
1. François Hollande n’a jamais dit, dans son discours au Congrès de Versailles, qu’il voulait inscrire dans la Constitution la possibilité de déchoir de leur nationalité les Français nés Français condamnés pour des actes de terrorisme. Le président de la République a seulement proposé d’inscrire dans la Constitution l’Etat d’urgence en se référant explicitement à la réécriture de l’article 36 proposée par le comité Balladur en 2007. «Cette révision de la Constitution, dit très exactement le président, doit s’accompagner d’autres mesures. Il en va de la déchéance de nationalité.» Autrement dit, son plan contre le terrorisme comprend deux «mesures», l’une constitutionnelle pour l’Etat d’urgence, l’autre législative pour la déchéance de nationalité. Si le Premier ministre veut que le «serment de Versailles» soit respecté, s’il veut que la parole présidentielle soit honorée, il doit retirer la déchéance de nationalité du projet de révision constitutionnelle.
2. Cette lecture est parfaitement logique et cohérente dans la mesure où l’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français n’est contraire à aucun principe constitutionnel et peut se donc se faire par une loi ordinaire sans risquer d’être censurée par le Conseil constitutionnel.
3. En effet, dans sa décision 93-321 DC du 20 juillet 1993, le Conseil constitutionnel a refusé de qualifier le jus soli (le droit du sol) de principe fondamental reconnu par les lois de la République et donc il n’existe aucun principe constitutionnel qui interdirait de priver un Français de naissance de sa nationalité dès lors qu’il en possède une autre.
4. Au contraire, dans sa décision du 23 janvier 2015, le Conseil a jugé que «les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à la naissance sont dans la même situation». Par conséquent, une loi ordinaire qui soumettrait les Français par naissance et les Français par acquisition au même régime juridique de déchéance ne serait pas contraire à la Constitution puisqu’elle rétablirait le principe d’égalité affirmée par le Conseil dans cette décision du 23 janvier 2015.
5. Quant aux Français mononationaux et aux Français binationaux, ils sont dans des situations objectivement différentes – les premiers ont une seule nationalité, les seconds deux – et les traiter différemment ne porte pas atteinte au principe d’égalité.
Si trop de droit tuerait le politique, trop de politique peut tuer les valeurs humanistes que porte le droit. Ce sont des politiques qui, en 1789, ont rappelé dans le préambule de la Déclaration que «l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements».
Au sein de l’Union européenne, quinze Etats membres ont une législation sur la déchéance de nationalité.
Dans une quinzaine d’Etat membres de l’Union, une personne peut se voir retirer sa nationalité dans les cas de trahison, dans lesquels s’inscrit le terrorisme. La Belgique, la Bulgarie, Chypre, le Danemark, l’Estonie, la Grèce, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, Malte, les Pays-Bas, la Roumanie, la Slovénie et le Royaume-Uni appliquent déjà la déchéance de nationalité aux personnes naturalisées. Mais certains pays ont modifié leur législation, au regard de la menace terroriste. C’est le cas du Royaume-Uni, en Belgique et des Pays-Bas.
42 cas en treize ans en Grande-Bretagne.
En Grande-Bretagne, 42 personnes ont été déchues de leur nationalité depuis 2002. Parmi elles figuraient cinq Britanniques de naissance. Comme la France, la Belgique s'est interrogée sur la déchéance de nationalité pour les binationaux. Le dossier a été rouvert après les attentats de janvier et un nouveau texte, avec des mesures renforcées, a été voté en juillet dernier.
La déchéance de nationalité, en Belgique, s’applique désormais aux binationaux, mais seulement aux personnes qui ont acquis la nationalité belge après leur naissance et qui sont condamnées pour des faits de terrorisme à une peine de plus de 5 ans de prison. En dix ans, une dizaine de binationaux ont été déchus de leur nationalité belge.
Espagne : une mesure surtout pour les gangs latinos
La loi sur les étrangers ne permet pas de retirer leur nationalité aux personnes qui partent faire le djihad. Il en a été vaguement question à Madrid après les attentats contre Charlie Hebdo mais le ministère de l’intérieur n’a pas donné suite, sans provoquer de débats. La loi permet cependant de déchoir de la nationalité espagnole et d’expulser toute personne ayant commis « des actes contraires à la sécurité nationale ou qui puissent nuire les relations de l’Espagne avec d’autres pays ». Cette mesure a été utilisée non pas dans les cas de terrorisme mais contre les gangs latino-américains qui sévissent surtout à Madrid et à Barcelone.
Canada : la citoyenneté ou le billet d’avion pour la Syrie
L’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper a fait modifier la loi sur la citoyenneté, dans la foulée des attentats perpétrés en octobre 2014 au Québec et au Parlement d’Ottawa par de jeunes djihadistes radicalisés. Adoptée en juin, la loi autorise la révocation de la nationalité de Canadiens ayant une double citoyenneté et« déclarés coupables d’infractions de terrorisme, de trahison, de haute trahison ou d’espionnage pour le compte de gouvernements étrangers ».
Toutefois, la loi sera peut-être bientôt abrogée. Le libéral Justin Trudeau, élu le 19 octobre à la tête du gouvernement canadien, l’a promis pendant la campagne électorale. Raison avancée : « Dès que vous rendez la citoyenneté conditionnelle à un bon comportement pour certains Canadiens, vous diminuez la valeur de la citoyenneté pour tout le monde. » Pour lui, ceux qui sont reconnus coupables de terrorisme ou d’un crime contre le Canada doivent être « enfermés en prison pour le reste de leur vie », plutôt que de partir avec un « billet d’avion pour la Syrie », après la perte de leur nationalité. Il n’y a eu cependant qu’un seul cas de déchéance de nationalité, fin septembre.
Etats-Unis : l’exil fiscal plutôt que la nationalité
Depuis que le XIVe amendement à la Constitution a accordé la citoyenneté à toute personne née aux Etats-Unis, en 1868, il est impossible de priver un Américain de sa nationalité. Il ne peut la perdre que s’il y renonce volontairement. Ce qu’ont fait 3 400 Américains en 2014, en majorité pour des raisons fiscales, les Etats-Unis imposant à leurs ressortissants une imposition sur l’ensemble de leurs revenus. Pour les naturalisés, la déchéance de nationalité est difficile, les faits incriminés ne pouvant être intervenus qu’avant la naturalisation.
Les Etats-Unis ont beaucoup expulsé après la première guerre mondiale, utilisant l’octroi de la citoyenneté comme moyen de contrôle social. Les réfugiés naturalisés étaient privés de leurs droits s’ils étaient communistes, anarchistes – comme Emma Goldman, expulsée en 1919 –, pacifistes, opposés à la prohibition ou s’il s’agissait d’anciens nazis. Jusqu’en 1943, lorsque la Cour suprême a été saisie du cas du responsable du parti communiste de Californie, William Schneiderman, naturalisé en 1927. La Cour a établi qu’un individu ne pouvait être déchu de ses droits que si les faits qui lui étaient reprochés étaient antérieurs à sa naturalisation.
Depuis la législation qui s’applique est l’article 349 de la loi McCarran de 1952, l’Immigration and Nationality Act. Celle-ci prévoit qu’un Américain binational peut être déchu de sa nationalité s’il refuse de témoigner devant le Congrès au sujet d’activités subversives, s’il s’engage dans les forces armées d’un pays étranger sans autorisation, s’il vote dans des élections étrangères, déserte ou se rend coupable d’actes de trahison.
Selon l’historien français Patrick Weil, professeur à l’université de Yale, il y a eu au XXe siècle quelque 22 000 cas de perte de la nationalité aux Etats-Unis. Mais quelque 150 cas seulement d’annulation de la naturalisation depuis 1968, généralement pour fraude ou fausse déclaration.