On aurait pu intituler ce billet d’humeur par «Christiane Taubira ; tu nous manques !». Mais bon, voilà ; les obligations des mots clés d’un titre sur le net nous obligent à une accroche plus en phase avec les événements en cours.

Comprenons ces pauvres beaufs se rendant compte que Christiane Taubira les dépasse intellectuellement. Quoiqu’il en soit, revenons sur la réalité des actions de l’ancienne Garde des sceaux sur l’ensemble de ses années «aux affaires», en incluant les nombreux mensonges propagés par la droite et l’extrême-droite à son sujet.

Taubira a-t-elle vidé les prisons ?

L’idée selon laquelle Christiane Taubira vide les prisons françaises a beau être serinée soir et matin, elle ne résiste guère aux statistiques. Le nombre de personnes détenues en France à ce jour n’est guère inférieur à celui qu’on pouvait observer lors du dernier quinquennat. Au 1er décembre 2015, on comptait 66 818 détenus (dont 48 235 condamnés). Soit sensiblement les mêmes valeurs qu’au 1er juin 2012 : 66 915 détenus dont 50 159 condamnés. Si l’on regarde l’évolution de la courbe mensuelle depuis quelques années, on constate même plutôt une évolution à la hausse.

 

Taubira laxiste ? Les chiffres qui énervent la droite et l’extrême-droite

Taubira a-t-elle généralisé les aménagements de peine ?

C’est un autre procès récurrent : Taubira, détestant donc la prison, aurait fait exploser les aménagements de peine. Or, on ne constate pas non plus d’inflation des aménagements de peine en regardant les chiffres officiels. Au 1er juin 2012, on comptait 13 232 condamnés bénéficiant d’un aménagement de peine, dont 10 111 placements sous surveillance électronique (PSE). Au 1er janvier 2015 (dernier mois où les statistiques comparables sont disponibles), on recensait 13 078 condamnés bénéficiant d’un aménagement de peine, dont 10 419 PSE.

Taubira laxiste ? Les chiffres qui énervent la droite et l’extrême-droite
Taubira laxiste ? Les chiffres qui énervent la droite et l’extrême-droite

Et il est amusant de voir qu’en matière d’aménagement des peines, le procès de Christiane Taubira instruit par la droite n’est autre que le procès de la politique que la droite a mené elle-même. Car c’est à la réforme pénale de Rachida Dati que l’on doit le cadre qui prévaut aujourd’hui en matière d’aménagement des peines. La ministre de la Justice de Nicolas Sarkozy avait ainsi prévu un examen par le juge d’application des peines pour toute peine inférieure ou égale à deux ans (un an pour les récidivistes). Et quand Alain Juppé (pour citer la dernière bêtise en date) déclare récemment sur Europe 1 : «Il n’est pas normal par exemple qu’à chaque fois qu’il y a une peine de prison inférieure à deux ans on échappe à la prison.» Il s’en prend donc à une mesure mise en place par son propre camp, tout en la caricaturant jusqu’au grotesque, puisque la mesure ne signifiait évidemment en aucun cas que tous les condamnés à des peines de prison égales ou inférieures à deux ans échappaient à la prison.

Taubira et le laxisme de la contrainte pénale

Si une mesure symbolise aux yeux de la droite le laxisme de Taubira, c’est bien la contrainte pénale. Point central de la réforme de la garde des Sceaux, entrée en vigueur le 1er octobre 2014, cette nouvelle peine est effectuée en milieu ouvert, c’est-à-dire en dehors de la prison, avec un suivi renforcé. D’une durée comprise entre six mois et cinq ans, elle est applicable aux délits passibles de cinq ans d’incarcération maximum. La contrainte pénale doit être étendue à tous les délits à partir du 1er janvier 2017.

Que d’âneries, dans les premières années du mandat Hollande, ont été dites sur cette proposition ! Pendant des mois, la droite, dans une entreprise de désinformation aussi massive que grossière, a tenté de faire croire que tous les délinquants condamnés pour des délits passibles de cinq ans éviteraient la prison. Ils oubliaient simplement que cette peine, loin d’être automatique, venait seulement élargir la palette des peines que les magistrats peuvent prononcer.

Ainsi, Marion Maréchal Le Pen a par exemple affirmé des mois durant, sans rire, que la création du nouveau délit d’entreprise individuelle de terrorisme ne servirait à rien à cause de la contrainte pénale :  tous les barbares terroristes ne seraient condamnés qu’à un accompagnement socio-éducatif…

Dans le genre «grosse intox qui tâche», citons aussi Brice Hortefeux qui lui assurait qu’avec la contrainte pénale, 30% de ceux qui auraient été condamnés à la prison avant ne le seraient plus. Diable!

Et quelques mois plus tard, les premières statistiques officielles ont renvoyé ces funestes prévisions à leur statut de pur fantasme : entre le 1er octobre 2014 (marquant la mise en place de la mesure) et la fin de l’année 2014, 242 contraintes pénales ont été prononcées. Et le rythme n’a pas vraiment augmenté depuis. Entre le 1er octobre 2014 et le 30 juin 2015, 813 contraintes pénales avaient été prononcées. Dérisoire. Et bien loin des prévisions de la chancellerie, qui dans son étude d’impact, prévoyait à terme que 8 000 à 20 000  contraintes pénales soient prononcées par les juges chaque année.

Au point que si la contrainte pénale de Christiane Taubira peut être jugée comme un échec, ce n’est pas pour avoir vidé les prisons comme l’avait prophétisé la droite à grand renfort de mauvaise foi, mais pour avoir été au contraire peu utilisée jusqu’à présent, et ce pour différentes raisons (frilosité ou inertie des magistrats, manque de moyens pour le suivi, trop grande proximité entre la contrainte pénale et le sursis avec mise à l’épreuve).

Taubira, responsable des tueries de Charlie et de l’Hyper Cacher 

Les jours qui suivirent les attentats de janvier 2015 furent les plus violents en termes de critiques. Pour une partie de la droite et la totalité de l’extrême droite, Taubira et sa réforme pénale furent derechef propulsées complices des auteurs des attentats. Exemple parfait d’une obsession dont la violence n’avait d’égal que la mauvaise foi. Plusieurs responsables politiques, relayés par les réseaux sociaux en furie, affirmèrent d'abord que la réforme pénale de Taubira avait facilité la sortie de prison d’Amedy Coulibaly, tueur de l'Hyper Cacher. Oubliant simplement que la promulgation de la réforme était postérieure à la libération du terroriste.

Mais la palme revient ici à Valeurs actuelles. 

L’hebdomadaire d’extrême droite, qui a fait de la chasse à Taubira son passe-temps favori, s’est rué sur les événements tragiques de janvier 2015 pour instruire le procès en laxisme de la garde des sceaux. Dans un édito vidéo, le directeur général du magazine assurait : «Nous déclarons Christiane Taubira coupable d’aveuglement, de laxisme, d’idéologie, de sectarisme. Sans cet aveuglement, sans ce laxisme, sans ces réformes pénales à répétition et cette culture de l’excuse que Christiane Taubira invoque indéfiniment, peut-être n’aurions-nous pas eu cette terreur qui s’est abattue sur Paris avec les attentats à Charlie Hebdo ou à l’Hyper Cacher.»

Dans les pages intérieures du journal, Xavier Raufer (criminologue très droitier) affirmait : tous (Merah, Nemmouche, les frères Kouachi, Coulibaly) auraient dû passer «dix à vingt ans en prison» dans un «Etat de droit normal». Or, «dans la France de Taubira, ils se promènent dans la nature». Sans entrer dans le détail des condamnations de chacun (Merah était considéré comme un petit délinquant), il suffisait de s’arrêter sur le cas de Saïd Kouachi, dont on voit mal quelle justice de quel Etat de droit aurait pu l’enfermer vingt ans puisqu’il n’avait jamais été condamné à aucune peine de prison. De même, au nom de quoi Chérif Kouachi aurait-il dû rester en prison dix ans de plus, puisque les charges qui pesaient sur lui ont été levées à la fin de l’été 2013 ? Et quand bien même la justice aurait-elle été trop clémente, en quoi Taubira en aurait-elle été comptable ? Doit-on rappeler que les condamnations sont le fait de magistrats indépendants. Et doit-on rappeler que toutes les condamnations des terroristes avaient été prononcées avant son arrivée au ministère de la Justice. Ou pour le dire autrement : aucune mesure prise par la garde des Sceaux depuis son arrivée n’a eu le moindre impact sur le devenir judiciaire ou carcéral des auteurs des actes terroristes de janvier 2015.

Dans sa vidéo accusatrice, Yves de Kerdrel tentait un autre argument. Si la politique pénale de Taubira n’est pas responsable de leur condamnation, au moins est-elle responsable de leur suivi une fois dehors. Et le directeur général de Valeurs actuelles expliquait «précisément» (sic) pourquoi Taubira était coupable : «Il n’est pas normal que, dans la France d’aujourd’hui, un Kouachi qui devait pointer au commissariat quatre fois par jour ait pu aller se promener au Yémen.» C’était d’une part prêter beaucoup de responsabilités à une garde des Sceaux. Et c’était d’autre part se tromper de garde des Sceaux. Car c’est à l’été 2011 que le voyage au Yémen des frères Kouachi s’est déroulé.

Avec Taubira, les récidivistes sont-ils désormais traités comme les primo-délinquants ?

L’allégement des peines des récidivistes est un des autres reproches les plus récurrents intentés à Taubira. Il repose sur un peu de vrai… et une bonne dose de caricature. Oui, Taubira, conformément à la promesse de François Hollande, a supprimé les peines planchers. Le dispositif sarkozyste visait à infliger une peine minimale aux délinquants en situation de récidive. Une peine qui n’était pas aussi automatique qu’on le dit. En effet, des dérogations (indispensables au respect du principe de l’individualisation des peines) permettaient aux magistrats de s’en affranchir. Liberté dont ils ont usé. Si les peines planchers ont indéniablement abouti à un alourdissement des peines, elles n’ont par exemple été appliquées, en 2010, que dans 38% des cas où elles auraient pu l’être, selon les statistiques du ministère de la Justice.

Mais la suppression des peines planchers ne signifie pas que les récidivistes sont désormais traités comme des primo-délinquants. «Ce n’est pas du tout le cas, réagissait Laurence Blisson secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, dans un désintox consacré au sujet. La règle selon laquelle un récidiviste doit se voir appliquer une peine minimale a disparu. Mais la règle selon laquelle la peine encourue en cas de récidive est doublée demeure. Et dans les faits les récidivistes sont condamnés plus lourdement, ne serait-ce que parce qu’ils ont un casier judiciaire, et que les antécédents sont évidemment pris en compte dans la sévérité de la peine.»

En revanche, la réforme pénale de Christiane Taubira a bien mis un terme au régime spécifique des récidivistes concernant les réductions de peines et la liberté conditionnelle. Désormais, les récidivistes peuvent bénéficier des mêmes crédits de réduction de peine que les autres condamnés (soit trois mois pour la première année, deux mois pour chaque année suivante, au lieu de deux mois pour la première année et un mois pour les suivantes auparavant). De même, alors qu’ils devaient attendre d’avoir purgé deux tiers de leur peine pour bénéficier de la liberté conditionnelle, ils peuvent aujourd’hui y prétendre après avoir purgé la moitié de leur peine, comme les autres non récidivistes.

Avec Taubira, la grande évasion ? 

C’est le propre du procès en laxisme : tout fait divers vient le nourrir. Réagissant à l’évasion en permission de sortie d’un détenu l’automne dernier, RTL recense 236 détenus s’étant fait la belle depuis le 1er janvier et calcule que cela aboutit à «presque une évasion par jour depuis début 2015». Illico, les détracteurs de Christiane Taubira s’emparent du chiffre. Le site Boulevard Voltaire, créé par l’ex-président de Reporters sans frontière et maire de Béziers, Robert Ménard, aujourd’hui proche du FN, écrit par exemple que Taubira a «facilité cette année la fuite» de ces 236 détenus. Le sénateur Les Républicains (LR), Alain Houpert, juge sur Twitter que ces «évasions en série fragilisent la chancellerie».

Ce nombre d’évasions, suite à des permissions pour les détenus, est pourtant loin d’être exceptionnel. Il suffit de regarder les chiffres.

Taubira laxiste ? Les chiffres qui énervent la droite et l’extrême-droite

Ajoutons que, là encore, la législation en vigueur concernant les permissions de sortie date de 2004. La loi du 9 mars, portée par le garde des Sceaux de Jacques Chirac, Dominique Perben, inscrivait à l’article 723-3 du code de procédure pénale la possibilité pour «un condamné [de] s’absenter d’un établissement pénitentiaire pendant une période de temps déterminée». Taubira n’y a pas touché depuis son arrivée à la chancellerie, en 2012. En outre, le nombre de permissions accordées chaque année a plutôt baissé sous le quinquennat de François Hollande. En 2013, on comptait par exemple 55 302 permissions accordées, contre une moyenne légèrement supérieure à 58 000 sur les années Sarkozy.

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